Depuis près de quarante ans, Manuela de Kerchove d’Ousselghem, petite-fille de l’artiste belge René Guiette, mène l’enquête, fouille les archives, part à la recherche de tableaux oubliés afin de reconstituer l’histoire, mais aussi la pensée de son grand-père. Né en 1893 à Anvers et décédé en 1976, René Guiette s’est passionné toute sa vie pour les avant-gardes artistiques, de l’expressionnisme au cubisme en passant par l’art brut et l’abstraction informelle. Professeur de photographie et d’harmonie de couleurs à La Cambre à Bruxelles, familier de Jean Dubuffet et du Corbusier, ce peintre exigeant était particulièrement admiré par ses contemporains.
Se plonger dans son œuvre prolifique et complexe a permis à Manuela de Kerchove d’Ousselghem de découvrir l’homme et le peintre qu’il était : « Mon grand-père était un immense intellectuel, un homme audacieux, sensible et curieux qui se consacrait tout entier à son art. Enfant, je ne le connaissais qu’assez peu, même si ses tableaux faisaient partie de mon quotidien et bien que nous allions le voir dans sa maison-atelier des Peupliers, celle que Le Corbusier lui avait construite à Anvers et qui est aujourd’hui classée au patrimoine de l’UNESCO. Et depuis l’âge de mes 25 ans, j’ai consacré tout mon temps à rencontrer mon grand-père. »
Après plus de huit années de recherches, « un vrai travail de bénédictin », Manuela de Kerchove d’Ousselghem publie le premier catalogue raisonné consacré à René Guiette en 1991 rassemblant près de 3.000 œuvres. « C’était aussi une course contre la montre, confie-t-elle, car ses amis étaient déjà très âgés et j’avais besoin de leurs témoignages. » L’ouvrage aujourd’hui épuisé est alors édité en noir et blanc, accompagné d’une monographie et d’une bibliographie complète. Mais impossible de faire figurer en un seul volume l’immense production de René Guiette qui a couvert toutes les esthétiques et les époques. « J’ai dû faire des choix avec mon éditeur. J’ai donc laissé de côté tous les petits formats, toutes les aquarelles raffinées, tous les dessins au crayon, les carnets de croquis, les dessins préparatoires… », énumère Manuela de Kerchove d’Ousselghem qui travaille actuellement sur le complément du catalogue raisonné, les nouvelles technologies de publication lui permettant un archivage et une documentation plus aisés. « Il doit y avoir plus de 4.000 œuvres, c’est considérable. »
Car l’œuvre de René Guiette révèle son lot de surprises comme a pu le constater sa petite-fille lors de son patient travail de recherche. Faisant partie de nombreuses collections muséales, mais surtout privées, des tableaux inconnus de René Guiette resurgissent aux détours d’enchères ou de donations, certains étant restés discrètement dans des collections familiales depuis plusieurs décennies : « Mon grand-père était également photographe. Très tôt, lorsque les appareils photographiques ont commencé à se démocratiser, il a acheté un Leica et a photographié ses tableaux, entre autres. J’ai retrouvé ces photos. Chez moi, j’ai des pellicules entières où je découvre parfois des œuvres qui ne sont pas dans les archives. Donc, je les cherche. Et parfois, je les trouve ! »
Parfois, encore, les peintures de René Guiette ne sont pas ce qu’elles semblent être, comme cette toile cubiste repeinte dans les années 50 et redécouverte en 2017. « Un tableau dont j’avais hérité avait des lacunes qui révélaient des couleurs ne correspondant pas du tout au travail de mon grand-père à cette époque. Intriguée, j’ai emmené la toile dans un laboratoire scientifique du port franc de Genève. Et une œuvre que je recherchais était en dessous ! » Pour compléter le puzzle, Manuela de Kerchove d’Ousselghem a ainsi lancé des avis de recherche : « Ce ne sera certainement pas la dernière découverte, et je pense que je ne suis pas au bout de mes surprises. C’est le travail d’une vie. »