Il fut la belle surprise de la dernière édition d’Art on Paper. Lauréat du 8e Prix Eeckman décerné dans le cadre du salon bruxellois du dessin en octobre 2024, l’artiste marocain Mouad El Bissaoui dessine et sculpte… avec du charbon de bois. « J’ai commencé à explorer la pratique du charbon à travers un projet qui interroge la relation symbolique entre le jeu d’échecs et la violence politique, explique-t-il. Je représentais alors les traces d’une violence réelle sur un pion — une pièce conçue pour le jeu — afin de suggérer la dialectique entre le jeu et le sérieux dans l’action politique qui engendre la violence. C’est de là qu’est née ma pratique du charbon : un processus qui commence par la sculpture de pions en bois, puis leur carbonisation, jusqu’à ce qu’ils deviennent des masses de carbone à l’apparence de pions. »
Depuis, il décline une œuvre pluridisciplinaire autour de la disparition, de la mémoire et de la transformation avec une poésie teintée de philosophie. Unanime, le jury ne tarit pas d’éloges à son égard : « Plutôt que de condamner, il interroge les enjeux et les tragédies liés à l’immigration. Son œuvre poétique révèle l’âme d’un pacifiste. Malgré son jeune âge, son art fait preuve d’une maturité et d’un engagement remarquable, ce qui lui vaut une reconnaissance unanime de son talent. »

Mouad El Bissaoui
« Mon parcours artistique a débuté au lycée, à travers une fascination profonde pour la poésie arabe contemporaine et la puissance évocatrice de l’image poétique appliquée aux questions sociales et politiques, » raconte ce jeune artiste diplômé de l’Institut National des Beaux-Arts de Tétouan en 2022. Couronné la même année par le Prix Mustaqbal pour jeunes artistes contemporains au Maroc décerné par la Fondation TGCC pour l’art et la culture, cette distinction lui a ouvert la porte d’institutions telles que la Fondation Montresso, l’Institut français, Central 88, ou encore la Fondation SAFFCA à Bruxelles.
Nourri de langages symboliques et d’approches conceptuelles, il confie avoir été profondément influencé par des artistes comme Yoko Ono, Chantal Akerman, Mona Hatoum, Younès Rahmoun, Adel Abdessemed mais aussi M’barek Bouhchichi et Eric van Hove. « J’admire leur manière de concilier dépouillement formel et densité critique, dit-il Je m’intéresse également aux philosophies de l’art conceptuel et aux pratiques interrogeant les notions de mémoire, de déplacement et de frontières. » Le dessin, qui occupe une place fondatrice dans sa pratique, constitue son outil de réflexion et d’observation principal : « C’est à partir du dessin que se déploient ensuite d’autres médiums — installation, sculpture, performance ou image en mouvement. Je le considère comme un espace d’expérimentation où se trame la pensée plastique. Le prix Eeckman représente un véritable encouragement à poursuivre mon parcours, notamment dans la pratique du dessin, qui continue d’occuper une place essentielle parmi mes autres formes d’expression artistique. »
Récemment en résidence artistique avec la galerie African Arty de Casablanca, il développe actuellement un corpus d’œuvres « qui oscille entre dessin et installation », dans le cadre de la préparation d’une exposition en collaboration avec la Fondation Bank Al-Maghrib. Il détaille : « Ce projet explore la charge expressive des nuances de gris, comme métaphore de la cendre — ultime état de la combustion. Le gris devient alors un langage plastique pour penser la transformation, l’effacement et la trace. » Par la suite, il passera une autre année en résidence avec sa galerie dans la région d’Aït Ziyad, aux alentours de Marrakech dans le massif de l’Atlas, pour un autre projet autour de l’eau dans une zone marquée par la construction du plus grand barrage de la région, ayant entraîné le déplacement de milliers d’habitants. « À travers cette résidence, je chercherai à interroger la dualité de l’eau — force vitale mais aussi destructrice — à travers l’histoire des conflits et des transformations paysagères qu’elle a suscités dans ce territoire. » La condition humaine, encore et toujours, vue par les yeux d’un jeune humaniste poétique.
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