Elle a fait de ses convictions un engagement. Et de son engagement, une mission. Fondatrice de This is your Heart, une agence suisse de « conseil en diplomatie artistique et culturelle », Charlotte Diez-Bento développe des projets curatoriaux dédiés aux scènes artistiques d’Afrique et du Sud en général, en créant des réseaux de coopération internationale associant artistes, philanthropes, décideurs politiques et acteurs du marché de l’art. Son ambition ? Défendre la vision des artistes africains ou afrodescendants à l’heure où de nouveaux imaginaires postcoloniaux émergent face à l’urgence climatique et sociale dans un monde globalisé et inégalitaire. « Ce qui m’anime, c’est de pouvoir offrir à tous ces artistes des opportunités afin qu’ils puissent partager leurs récits, leur regard sur le monde et engager le dialogue, dit-elle. Il est indispensable de donner la parole à tous ces artistes du Sud en général, qui nous parlent des grands défis mondiaux depuis leur perspective : l’écologie, la solidarité, nos humanités communes, la question migratoire, le discours postcolonial, l’histoire culturelle et le patrimoine immatériel. En bref, comment “désoccidentaliser” notre regard. »
Grande arpenteuse du continent africain et fine connaisseuse des relations internationales — elle a passé vingt ans à l’ONU et dans des institutions financières mondiales — Charlotte Diez-Bento considère que ces artistes sont « à l’avant-garde d’un paysage géostratégique changeant » : « Il y a une créativité vraiment incroyable sur l’ensemble du continent, une authenticité, constate-t-elle. Vous y trouvez une multitude de géographies, de types d’art et de scènes, de l’Afrique du Sud au Nigeria en passant par le Sénégal, ou encore l’Éthiopie. J’avais à cœur de faire découvrir leurs propres récits. »
Alors que le marché de l’art plébiscite les artistes africains ou afrodescendants, les institutions culturelles avec lesquelles elle collabore sont également en plein essor. Ce qui était loin d’être le cas il y a quelques années à peine : « C’est en train de changer. Sur le continent, trois ou quatre hubs artistiques sont devenus les têtes de pont de la création africaine, comme le Maroc, l’Afrique du Sud, le Sénégal et le Nigeria. Je citerais également le Kenya ou le Bénin, qui font partie de ces pays qui ont investi dans le développement de leurs institutions culturelles, notamment dans l’art contemporain. » Le MOCAA à Cape Town, le MAACAL à Marrakech, mais aussi l’historique Biennale de Dakar, la foire décentralisée 1:54… autant de musées et d’événements de premier plan qui redessinent la géographie artistique de l’Afrique et avec lesquels Charlotte Diez-Bento tisse des relations partenariales.
Dans ce paysage effervescent, elle constate que de nombreux centres d’art et les lieux de résidences naissent d’initiatives privées, « notamment celles d’artistes ayant connu un certain succès », à l’instar de Barthélemy Toguo et son centre d’art Bandjoun Station au Cameroun, de la résidence d’artistes de Kehinde Wiley à Dakar, ou des fondations Yinka Shonibare et El Anatsui au Nigéria. « Un écosystème extrêmement nourri », selon cette observatrice qui organise régulièrement expositions itinérantes et parcours artistiques en ville, y compris pendant les grand-messes de l’art contemporain telles qu’Art Basel. « On se rend bien compte que la scène africaine contemporaine est de plus en plus intégrée aux grands événements internationaux. » Pour elle, il s’agit même d’une vague de fond : « Nous vivons dans un monde postcolonial et globalisé, les artistes font entendre leur voix et un processus d’ouverture a été enclenché. Le mouvement en ce sens est très clair, il n’y a pas de retour en arrière possible. Donc, il y a un véritable intérêt à décloisonner les regards. Par exemple, l’Amérique du Nord propose une lecture de l’art africain totalement différente de celle proposée en l’Europe, avec un regard pointu sur les récits et la création émergente. L’Asie s’ouvre également aux artistes africains, peut être parfois avec attrait pour des œuvres plus “classiques”. Ce sont des visions différentes, mais ce sont des marchés porteurs qui démontrent qu’il s’agit bien d’un mouvement de fond. Il faut être à l’écoute de ces sentinelles. »