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Sa nomination est un tournant dans l’histoire du musée d’Orsay. Le 1er septembre 2023, l’historienne de l’art et germaniste Ines Rotermund-Reynard est nommée chargée de recherches en provenance du musée. Cette création de poste, le deuxième dans un musée français après celui du Louvre, concrétise des décennies de recherches opérées par les musées hexagonaux sur la provenance des œuvres issues de la récupération artistique.

Ines Rotermund ©Sophie Crépy/Musée d’Orsay

Son rôle ? Enquêter et s’assurer que les œuvres des collections n’ont pas été spoliées à leur légitime propriétaire pendant le régime nazi et la Seconde Guerre mondiale. L’éminente chercheuse, spécialiste de la période 1933-1945, co-dirige d’ailleurs le projet franco-allemand « Répertoire des acteurs sur le marché de l’art français sous l’Occupation, 1940-1945 » à l’INHA (Institut National d’Histoire de l’Art). « Deux constatations sont à l’origine de ce projet », expliquait Ines Rotermund-Reynard lors d’un colloque au musée du Louvre en 2021. « La plupart des études de provenances sont basées sur l’analyse de l’histoire d’un objet. Depuis vingt ans, des bases de données se sont créées partout dans le monde, les musées documentent les collections et tentent de retracer les étapes de la provenance. Ces dernières années, en particulier avec l’affaire Gurlitt, les provenances ont fait l’objet d’une attention accrue. Les collections sont contrôlées avec le plus grand soin et les provenances douteuses sont soumises à investigation. Mais ces recherches axées sur des objets précis pâtissent d’une connaissance encore trop lacunaire des relations transnationales complexes entre les marchés et leurs acteurs. »

Reconnue comme l’une des meilleures spécialistes du monde en la matière, son arrivée au sein de l’équipe scientifique d’Orsay préfigure les contours du futur Centre de Ressources et de Recherches du musée. Car le chantier est colossal autant que douloureux. Désignées par l’acronyme MNR ou « Musées Nationaux Récupération », les œuvres saisies en Allemagne et en Autriche à la fin de la Seconde Guerre mondiale par les forces alliées et rapatriées en France, où elles avaient été acquises pendant l’Occupation par spoliation ou sous contrainte, n’appartiennent pas aux musées, mais y sont conservées « en attente de restitution à leurs légitimes propriétaires. » C’est le cas de La Corne d’or, matin, de Paul Signac et Gelée blanche, jeune paysanne faisant du feu de Camille Pissarro, deux tableaux volés par les forces d’Occupation et restitués en 2018 par l’État aux héritiers de Gaston Lévy. En 2020, un dessin d’Ernest Meissonier, Joueurs d’échecs, est restitué aux ayants droit de Marguerite Stern, à qui il avait été volé durant cette même période. Enfin, en 2021, le musée d’Orsay et le ministère de la Culture ont engagé une procédure de restitution volontaire du tableau de Gustav Klimt Rosiers sous les arbres aux ayants droit de Nora Stiasny (1898-1942), entérinée par une loi du 21 février 2022.

Appuyé par la Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 du ministère de la Culture français et la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations (CIVS), le musée d’Orsay a d’ores et déjà développé des outils permettant de remonter l’historique des œuvres et a consacré une section entière de sa bibliothèque à la recherche de provenance et aux spoliations des biens culturels. Face au devoir de mémoire, enquêter sur l’histoire des œuvres s’impose comme une responsabilité collective.

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