Trait d’union entre passé et présent, la collection Adrastus et son écrin, le Collegium, composent un ensemble unique au monde. Dédiée au radicalisme et aux expérimentations dans l’art du XXIe siècle, cette collection fondée il y a plus de vingt ans par Javier Lumbreras et son épouse Lorena Pérez-Jácome réunit près de 1.000 œuvres réalisées par plus de 150 artistes venant d’une quarantaine de pays. Leurs points communs ? Proposer une exploration et une lecture du monde qui déconstruisent les discours postcoloniaux, questionnent les identités et les stéréotypes, battent en brèche les normes sociales et culturelles, abolissent les frontières. En bref, des œuvres qui élaborent un discours critique à l’heure de la mondialisation, des conflits et de l’uniformisation des pensées. Puisqu’elle propose une sorte de photographie en temps réel de la société et des préoccupations des artistes de la nouvelle génération, cette collection en perpétuelle évolution est au cœur d’un ensemble plus vaste à la vocation universaliste dédié à la création et à la recherche : Le Collegium.
Javier Lumbreras et sa femme ont imaginé ce musée expérimental — et un brin idéaliste — dans les ruines de l’une des toutes premières écoles jésuites fondée vers la fin du XVIe siècle à Arévalo, petite ville située non loin d’Ávila en Espagne. Un joyau de l’art mudéjar et un symbole du multiculturalisme chrétien, juif et musulman dont les remparts médiévaux ont accueilli Isabelle de Castille et Ignace de Loyola, le fondateur des Jésuites. Haut lieu intellectuel de l’époque, l’ancienne école a été patiemment restaurée par le couple de collectionneurs. À terme, ce centre d’art contemporain dédié à la recherche, à l’expérimentation et à l’éducation devrait couvrir une surface totale de 30.000 mètres carrés, dont un tiers sera consacré uniquement aux expositions. « L’implication territoriale du projet est essentielle à sa réussite, confie Javier Lumbreras. Pendant l’été, nous faisons des performances dans les rues, nous donnons des conférences… C’est une toute petite ville. Les gens sont assez impliqués. Nous avons également créé de l’emploi. Il s’agit de mettre en œuvre une économie durable et vertueuse autour de ce projet qui articule à la fois patrimoine, création contemporaine, réflexions universelles et territoire. A terme, nous souhaiterions d’ailleurs produire un modèle réplicable en Espagne ou ailleurs dans le monde. »
Faisant appel à des curateurs permanents et invités, le programme curatorial du Collegium est complété par un programme « étendu » comprenant résidences artistiques, conférences et ateliers. Un bouillonnement créatif et fécond d’où surgissent thèmes universaux et questionnements de fonds permettant de développer un discours critique et expérimental. Ainsi, le programme de résidences, qui repose sur un équilibre entre exposition, recherche et production, accueille jusqu’au 10 mars 2024 l’artiste indigène Xadalu Tupã Jekupé, qui, à la recherche de ses racines précolombiennes, est en quête de son identité effacée.
Au cours de sa résidence à Arévalo, il crée une série de peintures intitulées Contemporary Indigenous Gaucho Art, illustrant les révolutions, les guerres et les processus civilisationnels qui impactèrent sa communauté du Sud Brésil depuis l’arrivée des premières missions jésuites. « Nous sommes une toute jeune institution et nous sommes libres, ce qui nous permet d’être très flexibles, efficaces et de nous adapter facilement, à la différence des grands musées qui doivent programmer leurs expositions plusieurs années à l’avance et obéir à des règles strictes y compris budgétaires. En bref, subir le poids de la bureaucratie. Ce qui n’est pas notre cas. »
Le tout jeune centre vient de recevoir le soutien de l’État pour son travail de valorisation du patrimoine historique. Une belle reconnaissance pour Javier Lumbreras et son épouse : « Nous en sommes très fiers. De la même manière, nous sommes fiers de la confiance que nous ont témoigné de grands curateurs internationaux. Tout ceci montre que nous sommes sur la bonne voie. Le Collegium est un projet à la fois global, universel et très local. Nous sommes à la campagne, nous sommes un musée rural, et nous produisons des discours de portée internationale. Ce n’est pas Arévalo qui va à New York, mais New York qui vient à Arévalo. »