Leur collection est « une référence pour l’art sur papier contemporain ». Dixit le Centre Pompidou. Exceptionnelle, la collection patiemment constituée par Florence et Daniel Guerlain l’est effectivement à bien des égards. Historique tout d’abord, grâce à la donation considérable qu’ils ont consentie en 2012 au musée dont le cabinet d’art graphique s’est retrouvé soudainement augmenté de quelque 1.200 œuvres, « ce qui en a transformé profondément la physionomie » en renforçant des ensembles déjà existants et en l’enrichissant d’œuvres d’artistes qui n’étaient pas encore représentés, comme celles de Javier Perez, Vidya Gasteldon, Gert et Uwe Tobias, Richard Prince ou encore Cameron Jamie. À lui seul, cet ensemble représenterait 5 % du fonds d’art graphique selon Xavier Rey, directeur du Musée national d’art moderne. Une donation unique en son genre dans l’histoire des musées de France. « Ce qui nous amuse aussi, c’est de faire rentrer dans les collections des musées des artistes qu’ils n’ont jamais eus ou même, parfois, qu’ils ont refusés… », confie avec humour Florence Guerlain.
Exceptionnelle aussi, car la collection Guerlain est une collection vivante, qui s’enrichit encore aujourd’hui au gré des envies et des rencontres artistiques du couple, notamment grâce aux acquisitions qu’ils réalisent dans le cadre du Prix du dessin contemporain lancé en 2006 au sein de leur Fondation. Destiné aux artistes pour qui le dessin constitue une part significative de leur travail, tous les moyens graphiques et tous les formats y sont admis, que ce soient les œuvres sur papier, les collages ou les dessins muraux réalisés au crayon, au fusain, à l’encre, au lavis, à la gouache, à l’aquarelle, au pastel, au feutre ou à la sanguine. « Je crois que le Prix de dessin nous aide beaucoup dans nos acquisitions, poursuit Daniel Guerlain. D’abord, parce que nous devons trouver les artistes participants et que nous effectuons de nombreuses recherches. Nous travaillons en moyenne avec cinq à dix artistes par an et nous leur achetons souvent des œuvres, en particulier celles des trois artistes nommés avec lesquels nous avons travaillé tout au long de l’année. Nous possédons aussi, bien entendu, des dessins d’artistes qui ne participent pas au prix. » Chaque année, trois artistes sont désignés par une commission d’experts et le lauréat est proclamé pendant le Salon du Dessin au Palais Brogniart par un jury de collectionneurs français et étranger. Le 21 mars dernier, c’est l’artiste Amir Nave qui était couronné par le 17e Prix du dessin contemporain. « Son univers très personnel et très affirmé nous a immédiatement séduits », disent Florence et Daniel Guerlain au sujet du travail saisissant, voire un brin dérangeant, de cet artiste israélien autodidacte. Ces amoureux du dessin — et grands complices dans la vie comme dans leur collection — ne se fixent pas de limites. Et n’en fixent pas aux artistes. « Tout a commencé par le dessin, l’art, l’écriture, c’est la plus ancienne et plus fondamentale expression de la pensée humaine. Le dessin, c’est la liberté », expose Daniel Guerlain.
Alors qu’il ne leur restait « que » 350 dessins suite à leur retentissante donation, leur collection privée compte aujourd’hui environ 700 pièces au sein de la Fondation. Ainsi, toute la collection Guerlain n’a pas déménagé dans les murs du Centre Pompidou qui lui consacre une salle spécifique pour son accrochage depuis juin 2023. Mais chaque année, une ou plusieurs œuvres couronnées par leur prix rejoignent le musée, ce qui porte à plus de 1.350 le nombre d’œuvres de la collection Guerlain qui y sont en réalité conservées. Chez eux comme au musée, le fonds Guerlain est une collection en perpétuelle mutation.