Une belle collection démarre souvent par un coup de foudre. À l’âge de 25 ans, Laurent Germain, aujourd’hui directeur général d’Egis, un grand groupe d’ingénierie français, déambule dans les allées de Paris Photo lorsqu’il tombe nez à nez avec une photographie prise par le chef opérateur de Wong Kar-Wai pendant le tournage de son célèbre film In the Mood for Love. On y voit le couple formé par les deux acteurs principaux du film dans une chambre d’hôtel. Laurent Germain est saisi. « J’ai trouvé cette photo absolument magnifique du point de vue esthétique, et elle était également forte en termes de sujet, car elle racontait une histoire visiblement sur le point de se terminer, se souvient-il. C’était une photographie très cinématographique. »
Fraîchement diplômé de l’ESSEC, de Sciences Po et de l’ENA, le jeune homme riche d’un beau bagage intellectuel, mais encore peu fortuné casse la tirelire. « Cette œuvre rejoignait mes deux passions, le cinéma et la photographie. Alors même si je n’avais pas les moyens, je l’ai achetée. Cet acte initial a été le premier d’une longue série. »
Passé par les cabinets ministériels, cet ancien directeur financier du Centre National d’Études Spatiales (CNES) porte toujours un œil aguerri sur la photographie qui a constitué la première base de sa collection. Il explique : « C’est un médium de l’immédiateté, grand public, riche visuellement, complexe techniquement. Et évidemment, moins cher que d’autres œuvres. Pour une première acquisition, la photographie est un beau moyen d’entre dans le monde de l’art contemporain. » L’idée de constituer une collection ne lui est venue que plus tard. Ou plus exactement, c’est sa collection qui s’est imposée à lui. Comme une évidence. « C’est lorsque l’on possède plus de 30 ou 40 œuvres que l’on réalise vraiment qu’on est en train de faire une collection, une collection qui prend forme avec des lignes directrices et des orientations artistiques. C’est une prise de conscience. »
Riche d’environ 200 œuvres à ce jour, Laurent Germain a élargi sa collection à d’autres médiums, de la gravure à la sculpture, en passant par la peinture ou encore la vidéo. Une collection polymorphe dont les œuvres se situent souvent à la frontière de l’abstraction et de la figuration. « Je suis particulièrement intéressé par tout ce qui ne peut être catégorisé comme totalement figuratif ou totalement abstrait, ajoute-t-il. Une autre direction artistique de ma collection tourne autour du traitement de l’image, c’est-à-dire l’utilisation de l’image comme source brute de la création artistique, puis retravaillée soit numériquement, soit physiquement. Un aspect qui m’intéresse beaucoup en raison de ma passion pour le cinéma et la photographie. » Autre ligne forte de sa collection : la place de la couleur dans l’art. « La couleur est souvent associée à des émotions et à des symboles. Les artistes coloristes constituent un troisième pan important de ma collection. Mais je pourrais également citer l’autoportrait, qui est une figure intemporelle, le paysage, le nu… J’aime aussi suivre des fils rouges qui se situent dans la tradition de l’histoire de l’art. »
Entre deux voyages professionnels, ce grand patron parcourt les foires et salons, visite galeries et expositions, rencontre des artistes dans leurs ateliers. Résultat ? Sa collection est en constante évolution : « Je prête des œuvres et j’essaie de les rendre les plus visibles possibles, car je n’ai pas actuellement d’espace d’exposition pour en montrer plus de 100. Parfois il m’arrive de réaliser moi-même une exposition, comme j’ai pu le faire lors de la Biennale du Luxembourg pour valoriser mes artistes. C’est vraiment ce qui est le plus important pour moi, un acte personnel et intime. Le rêve, bien sûr, serait de trouver un jour un lieu pour pouvoir exposer la collection. À travers elle, j’aimerais également trouver d’autres moyens de soutenir les jeunes artistes, tels que des résidences ou des prix. » Un collectionneur avec une âme de mécène.