Ouverte au public depuis 2003 à la faveur de la création d’un musée à Cologny, dans le canton de Genève, la Fondation Martin Bodmer abrite une collection de 150.000 manuscrits autographes et de documents imprimés qui représentent, selon le Pr Jacques Berchtold, son directeur depuis 2014, « la quintessence de la pensée humaine mise à l’écrit ».
Des premiers inscriptions sumériennes et assyriennes aux éditions originales de la littérature mondiale jusqu’au début des années 1970, en passant par les hiéroglyphes égyptiens sur papyrus, les livres sacrés d’Orient et d’Occident ou encore un fonds médiéval sur parchemin d’une valeur inestimable, cette collection a été constituée à partir de 1919 par la bibliophile Martin Bodmer, héritier d’une grande famille suisse qui, au XIXe siècle, a fait fortune sur le marché de la soie.
« Nous possédons, entre autres pièces rares, voire uniques, le plus vieil Évangile de Saint Jean, un corpus datant du IIe et IIIe siècles, et une Bible de Gutenberg de 1462. Il n’en reste plus que 27 dans le monde et c’est la seule en main privée », précise le directeur.
Jusqu’à sa mort, en 1971, date de création de la fondation, Bodmer n’a eu de cesse de réunir les textes majeurs de l’histoire de l’humanité dans leur version la plus originale possible, inscrivant sa démarche, notamment au lendemain du second conflit mondial, dans la tradition humaniste de Goethe, auquel il emprunte le concept de « littérature universelle » (Weltliteratur), tout en accentuant sa dimension spirituelle et métaphysique. « C’est une pensée très profonde, insiste Jacques Berchtold, professeur à la Sorbonne spécialisé dans la littérature du XVIIe siècle, détaché depuis cinq ans auprès de la Fondation. Elle conçoit la littérature comme un antidote aux exacerbations nationalistes, postule que la littérature d’une région ou d’un pays ne peut exister sans la connaissance des littératures voisines et étrangères. » La Fondation est classée au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2015.
Dans le musée de Cologny, conçu par l’architecte Mario Botta, la collection Bodmer est valorisée à la faveur d’une exposition permanente de quelque 300 documents et objets, qui sont renouvelés tous les cinq ans dans un souci de conservation (la température constante dans les salles est de 18,5°C). Elle couvre quelque 5.000 ans d’histoire depuis la découverte de l’écriture. En moyenne, deux expositions temporaires sont parallèlement proposées au public chaque année, mêlant des pièces de la Fondation et des œuvres correspondantes prêtées par de grandes institutions internationales. Jusqu’au 1er mars 2020, on peut notamment y voir l’exposition « Guerre et Paix », organisée en partenariat avec l’ONU et la Croix-Rouge, dont Bodmer a été président de 1947 à 1964.
Soutenue par les pouvoirs publics genevois, la Fondation emploie une douzaine de personnes, dispose d’une bibliothèque réservée aux chercheurs, de son propre atelier de restauration et s’est lancée ces dernières années dans la numérisation de ses fonds à travers plusieurs programmes spécifiques, dont le Bodmer Lab. « Ce projet, réalisé en collaboration l’université de Genève, n’a pas l’ambition de mettre en ligne tout ce que possède la Fondation.
Notre équipe de recherche s’est donné pour mission d’identifier les documents les plus intéressants de nos collections selon une dizaine de thèmes prédéfinis », précise Nicolas Ducimetière, vice-directeur. Parmi ces corpus, « Early Modern English Books » réunit 173 documents en langue anglaise, de 1475 à 1700, dont 37 titres originaux de Shakespeare collectionnés par Martin Bodmer.
Si elle ne dispose pas d’un fonds d’acquisition en bonne et due forme, la Fondation peut cependant compter sur une association d’amis pour acheter, lorsque l’occasion se présente, certains ouvrages inventoriés par son fondateur ou dispersés après son décès, comme, par exemple, un manuscrit médiéval de Parsifal ou certaines pièces de La Boétie. Le musée accueille entre 12.000 et 15.000 visiteurs par an, ainsi que 300 classes d’écoliers auxquelles est dédié un service de médiation.